Colonialisme. OAS : trois lettres chargées de malheur
12/02/2021
La date du 11 février 1961 n’est certes pas de celles que l’on fête allègrement : ce jour-là, une poignée d’activistes d’extrême droite, bénéficiant du parrainage du général (pas encore ex) Salan, créent une organisation qu’ils affublent de l’appellation d’« armée secrète ». Le lieu ? Madrid, au cœur de l’Espagne franquiste, l’une des dernières dictatures fascistes. Beau symbole.
Deux mois plus tard, le « quarteron de généraux » tente un baroud de déshonneur, le putsch d’avril 1961. Après l’échec pitoyable, que reste-t-il aux derniers partisans de l’Algérie française ? Le terrorisme. De nombreux militaires putschistes (dont Salan, qui deviendra le chef) rejoignent et, plus grave, encadrent l’OAS. Les plasticages, qui avaient commencé bien avant, connaissent un essor. Alger, Bône, Oran, Mostaganem commencent à s’habituer aux explosions. La nouvelle organisation en revendique ouvertement la paternité, avec un slogan qui deviendra célèbre : « L’OAS frappe où elle veut, quand elle veut. » C’est alors une prédiction ou une menace. Cela deviendra vite un programme. Les premiers visés sont les Algériens « musulmans », qui tombent par centaines. Dans les derniers temps de la guerre, des jeunes Européens exaltés les abattront sans sommation, souvent au hasard. Un mot revient en force : « ratonnades ». Les autres victimes sont les Européens, communistes (dans la clandestinité depuis 1955), chrétiens libéraux et même prêtres, socialistes, gaullistes, fonctionnaires loyaux, comme le commissaire principal d’Alger Roger Gavaury, qui n’acceptent pas la terreur, ou même de simples citoyens qui refusent les injonctions de cette OAS.
Au printemps 1961, avant même le putsch, l’organisation, consciente d’être dans une impasse en Algérie, décide de porter le fer dans la plaie : il faut que la métropole, ressentie comme endormie, indifférente, souffre à son tour, pour comprendre le désarroi de l’Algérie française. Dès le 31 mars, Camille Blanc, maire d’Évian, est assassiné. Son seul crime ? Être l’élu de la ville choisie pour entamer des négociations avec le FLN algérien. À partir de l’été, la métropole va vivre au rythme des plasticages, des assassinats. De nouveau, les cibles sont les militants antiguerre en tout premier lieu (le domicile de Sartre et Beauvoir est saccagé, le siège national du PCF est mitraillé), mais aussi les élus gaullistes. Les lecteurs de journaux étaient habitués, depuis 1954, à lire des nouvelles de l’infini malheur de la terre algérienne. Ils sont désormais – dans des proportions évidemment et immensément moindres – à l’affût chaque matin des nouvelles annonçant tel assassinat, telle destruction de local ou d’appartement. Le 8 septembre 1961, une forte charge explose sur un parcours emprunté par le président de Gaulle, à Pont-sur-Seine. L’attentat échoue. Un cruel événement va à ce moment faire littéralement basculer l’opinion. Dans la soirée du 7 février 1962, la petite Delphine Renard, qui habitait l’immeuble où résidait le ministre André Malraux, est victime d’un attentat qui la rendra aveugle. L’image du visage ensanglanté de cette enfant marque l’opinion de façon immédiate, violente. Le lendemain, une manifestation de masse inonde les rues de Paris. Quasiment partout, la police charge avec hargne. À Charonne, c’est pire : neuf manifestants, tous membres de la CGT, huit étant communistes, sont tués.
Rien ne pouvait, évidemment, arrêter le cours des événements qui aboutirent finalement aux accords d’Évian, reconnaissant l’indépendance de l’Algérie. Rien, pas même ce qui était devenu la haine contre de Gaulle (attentat du Petit-Clamart, 22 août 1962, soit cinq mois plus tard). Les chiffres officiels, arrêtés en avril 1962, font état de 15 355 attentats en Algérie, auxquels il faut ajouter des centaines de plasticages en France. Au global, une fourchette de 2 200 à 2 400 morts est généralement admise, dont 80 à 85 % de « musulmans ».
Certes, dans les flots de sang et de douleur que créa la guerre d’Algérie, dans le décompte des centaines de milliers de morts de ce conflit, ce chiffre peut paraître minime. Mais il ne s’est agi, là, non de combattants, mais de victimes, désignées par des comités secrets, tombées sans avoir même eu le temps de se défendre, abattues dans la rue, dans les domiciles, arrachées de cellules de prisons, voire achevées dans des ambulances ou des lits d’hôpitaux.
Il est un autre malheur que les membres de l’OAS ont amplifié. Se prétendant défenseurs des Européens d’Algérie, ils ont précipité leur départ par la multiplication des actes entraînant un torrent de haine entre les communautés. L’OAS se voulait un bouclier, elle fut une épée qui les frappa. Les meilleurs défenseurs des Européens d’Algérie ne furent pas les racistes de l’OAS, mais ceux qui, avec M gr Duval, l’abbé Scotto ou Henri Alleg, prônaient l’égalité et l’amitié entre les communautés.
Alain Ruscio, historien, l'Humanité
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